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vendredi 23 juin 2017

« Ces noms épars... »

« Et puis, surtout, il y avait eu une guerre et un mode de vie qui avait disparu quand la guerre fut perdue. Les hommes qui s’étaient battus étaient maintenant des vétérans. On les voyait assis sur les bancs, à la gare, se chauffant au soleil, taillant des bouts de bois en regardant arriver les trains, mais, aux jours de fête, ils remettaient leurs uniformes, organisaient des défilés ; les plus jeunes rentraient le ventre et sautillaient pour garder le pas, les plus vieux clopinaient, appuyés sur leurs cannes. Il était malaisé de voir le rapport entre ces yeux chassieux, ces visages vides, et le fracas des armes, les drapeaux déchiquetés par la mitraille, et cependant parfois, quand la voiture devait s’arrêter au passage à niveau, il les entendait parler, et les noms de batailles lui parvenaient à travers le bourdonnement de la conversation. — Manassas, Shiloh, Gaines Mill, Malvern Hill, Sharpsburg, Second Manassas, Fredericksburg, Murphreesboro, Chancellorsville, Gettysburg, Vicksburg, Chickanauga, The Wilderness, Spottsylvania, Cold Harbor, Brice’s Crossroads, Kennesaw Mountain, Big Shanty, Atlanta, Petersburg, Spring Hill, Franklin, Nasville, Five Forks, Appomattox ; il les entendait tous, les noms bibliques, indiens, anglais, noms de villes et de hameaux, noms de cours d’eau et de carrefours dans toute l’étendue du Sud, la plupart sans importance par eux-mêmes jusqu’au jour où les armées s’étaient réunies, plus ou moins par hasard, pour donner une permanence à ces noms épars et pour établir un mode de vie qui serait celui d’Hector Sturgis et de tant d’autres. »
Shelby Foote : L’enfant de la fièvre (1954)
Traduit par Maurice-Edgar Coindreau