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vendredi 16 mars 2018

« Connaissez-vous la vertu des livres, monsieur ? »



« Puis-je vous raconter une histoire, Miss Lamb ? Il y a un mois, j’étais installé dans un café de Maiden Lane. Voyez-vous celui que je veux dire ? Celui qui a un superbe comptoir en acajou. J’avais emporté une très belle édition ancienne en écriture gothique des Contes de Canterbury de Chaucer, que je venais d’acheter à un client de Long Acre. J’en tournais les pages lorsque j’entendis une voix qui manifestement s’adressait à moi. “Connaissez-vous la vertu des livres, monsieur ?”
« C’était une femme d’âge mûr, assise à un guéridon juste derrière moi. Elle était vêtue en noir de la tête aux pieds, elle portait un chapeau noir, un châle noir, et un parapluie noir était posé contre sa table. Il n’est pas habituel de voir une femme assise seule dans un café, même à Maiden Lane, et, bien sûr, je fus un peu gêné. Ce n’était manifestement pas une prostituée. Pardonnez-moi, Miss Lamb, d’être aussi indélicat. Son âge et sa tenue excluaient cette hypothèse. Je supposai qu’elle était soit soûle, soit folle. “Des vertus, madame ? — Comprenez-vous ces choses…? Les archives, les documents, les livres…? — C’est ma profession. — Je ne fais pas confiance aux hommes de loi. ” Je remarquai alors qu’elle buvait une tasse de sassafras, une boisson que je déteste ardemment. “Ainsi que vous pouvez le voir, je suis veuve. — Vous m’en voyez navré. — Il n’y a pas de quoi. Mon époux était une brute. Mais il m’a laissé quantité de documents.” Bien sûr, cette remarque éveilla mon intérêt. “Je n’y connais rien dans ce domaine. J’ai besoin de quelqu’un de compétent.” J’avais cru un instant que cette femme appartenait à la cohorte des faibles d’esprit qu’on croise en grand nombre dans les rues de Londres. Cependant, elle faisait preuve d’une telle circonspection, d’une telle assurance, que je compris qu’il n’en était rien. “Vous trouvez sans doute étrange, monsieur, que je vous entretienne de tout cela, mais, comme je l’ai déjà dit, j’abhorre les avoués, les chicaneurs et autres avocassiers. Il y a plusieurs semaines que je n’arrête pas de me répéter : si je tombe sur quelqu’un qui s’y connaît en études et en déchiffrage, je lui fonce dessus.” Je ne pus m’empêcher de sourire. “Vous voyez bien, monsieur, que le langage fleuri, ce n’est pas mon genre. Auriez-vous l’obligeance de me révéler votre nom ?” Elle ouvrit sa bourse en soie noire et je sentis, très nettement, une odeur de violettes. C’est un parfum exquis, ne trouvez-vous pas ? “Je n’ai pas de carte, déclara-t-elle. Que celle de mon défunt mari… mais l’adresse est la même.” Je remarquai que son époux, Valentine Strafford, avait été importateur de thés et qu’il vivait à une bonne adresse… Great Tichfield Street… dans la paroisse de Marylebone. Je donnai donc mon nom à cette personne et lui promis de venir lui rendre visite. Ainsi l’exigeait la plus élémentaire politesse.
« Tout à fait par hasard, le surlendemain, je passai devant sa demeure en me rendant chez un relieur de Clipstone Street. Connaissez-vous ce quartier-là, Miss Lamb ? Quoique pas très ancien, il n’en est pas moins plein d’intérêt. Je n’avais pas alors, à vrai dire, l’intention de lui rendre visite, mais je dois avouer qu’elle m’avait passablement intrigué. Je jetai un coup d’œil par la fenêtre du rez-de-chaussée et là, sur une longue table, qu’avisai-je sinon des montagnes de manuscrits et de parchemins ! Il y avait également des liasses de documents, des boîtes et des papiers roulé ensemble et retenus avec de la ficelle ou du ruban. L’inconnue n’avait donc dit que la stricte vérité en parlant de documents que son mari lui avait laissés. Je n’hésitai pas un instant et, sur l’impulsion du moment, gravis les marches et tirai sur la sonnette ; à ma grande surprise, c’est elle-même qui ouvrit la porte. “J’espérais bien que vous viendriez, Mr Ireland, je vous attendais.”
« Elle m’emmena dans la pièce du rez-de-chaussée où j’avais vu les documents. En chemin, j’aperçus un long jardin étroit à l’arrière, ou l’on avait érigé une de ces folies en forme de rocaille. Elles sont très à la mode de nos jours. “Je ne suis pas certain, Mrs Strafford, d’être en mesure de vous aider. — Ne soyez pas bête. J’ai remarqué comment vous avez écarquillé les yeux en entrant dans cette pièce. Vous raffolez des vieux papiers, je le vois bien.” Elle me proposa du sassafras mais je déclinai. De toute évidence, elle n’aimait pas le thé qui avait fait la fortune de son mari. “Naturellement, je vous rémunérerai. — Avant d’évoquer une quelconque rémunération, laissez-moi jeter un coup d’œil à ces papiers. — Ça ne représente peut-être rien du tout. — Ou au contraire, beaucoup. Laissez-moi donc d’abord examiner tout ça.” »

Peter Ackroyd : William et Cie (2004)
Editions Philippe Rey, traduit de l'anglais par Bernard Turle

samedi 30 juillet 2016

Un papillon jaune


On trouve parfois quelques prières d'insérer ou des publicités qui peuvent enrichir une collection ou même un ouvrage unique. Le petit papillon ci-dessus figurera bien dans l'un des ouvrages exposés dans la liste au verso et ici en regard.
Il vous suffira de trouver le papier mais également l'un des ouvrages...
Et puis aimer Rosny aîné, bien sûr !

(Cette notule a paru pour la première fois sur le blog Feuilles d'automne en décembre 2008)

mardi 3 juin 2014

Quand un marque-page fait trop bien son boulot

Puisque nous étions dans les choses que l'on trouve dans les livres, restons-y. Une des activités secondaire de la bibliomanie est la recherche compulsive du marque-page. Il m'arrive parfois de me promener dans les dépôts d'Emmaüs. Je leur achète de moins en moins de choses – cela fera l'objet d'un autre propos – mais j'aime déambuler dans l'odeur du vieux papier. Il y circule également une espèce furtive qui feuillète les livres non pour leur contenu mais dans l'espoir de trouver ces petits rectangles de carton. Inutile de préciser qu'une fois leur butin trouvé, certaines de ces personnes ne passent pas forcément par la caisse...
Lorsque l'on sait les prix des livres pratiqués chez Emmaüs, c'est ajouter de la bassesse à la mesquinerie, ce qui n'est pas pléonastique de mon point de vue.
Je possède une collection de marques-page.
Bien malgré-moi.
Cela rempli honnêtement une boîte à chaussures (taille 42). Ces marques-page ont été retrouvés dans les livres et je les en retire.
Pourquoi ?
Regardez bien l'image ci-jointe.
Les marques laissées par ces objets peuvent être désastreuses pour un livre. Cet ouvrage est un numéro de la revue The Quarto, publication anglaise de 1896 assez plaisante, contenant nombre de gravures et de nouvelles d'auteurs comme Chesterton, par exemple. La marque laissée est tellement nette que l'on y devine une publicité pour un vermouth. Cela indique que le marque-page est resté longtemps enfermé pour accomplir son oeuvre. Le papier qui le constituait s'est sans doute acidifié, à moins qu'il ne s'agisse du travail des encres de couleurs.
Voici un joli ouvrage gâché par un objet censé respecter le livre. A ce compte-là, il eut mieux valu corner la page, cela n'aurait pas été pire.
Laisser un quelconque papier dans un ouvrage précieux peut devenir fatal pour celui-ci. Le pire est la coupure de journal dont le papier acide fait brunir les pages par simple contact et ce très rapidement. Mais l'on voit que ce phénomène peut provenir également d'un simple marque-page oublié, apparemment anodin
Vous avez l'explication pour laquelle vous n'aurez que peu de chances de trouver un marque-page dans les ouvrages que je mets en vente.
Alors, ils s'entassent dans ma boîte à chaussure, en attendant.
En attendant quoi ?
Tttt... c'est comme ça que commence une collection.

Ce billet a été publié la première fois sur le blog Feuilles d'automne en juin 2008

lundi 26 mai 2014

Truffes & petits papiers

On trouve de tout dans un livre.
— Des tickets de métro
— Des tickets de cinéma
— Des articles de journaux, quelquefois sans rapport avec le sujet du bouquin 
— Des cartes postales…
Et puis, on trouve l'image ci-contre.
C'est Didier Deaninckx qui, je crois, avait fait un roman sur les canaques du jardin d'acclimatation. Si l'on avait besoin de se convaincre que ce n'était pas une fiction, en voici la preuve. 1000 crocodiles, des canaques avec des “danses expressives”, le tout à Paris en 1931, comme l'indique le verso de ce ticket : du colonialisme sans arrière-pensée. Cela vaut bien des romans engagés sur le sujet. Les livres truffés se font rares. Beaucoup de confères en suppriment le contenu. On ne peut leur donner tort, car la mauvaise qualité du papier dont sont constituées ces truffes peuvent tacher irrémédiablement un livre précieux. Pour ma part, j'élimine du livre tout ce qui est sans rapport et je m'arrange pour que les documents restants soient contenus dans un papier un peu plus neutre, si possible. Le reste constitue un musée secret, une exposition permanente à côté de mon bureau. On reviendra de temps à autres sur ce sujet.
Mais, ces petits papiers sont-ils vraiment des “truffes” ? En réalité, non. Dans le jargon de la librairie le mot désigne le plus souvent des documents insérés dans un ouvrage et qui ont un rapport parfois étroit avec le sujet de celui-ci : coupures de presse, lettres tapuscrites ou manuscrites, cartes de visite, etc. Mais ici, la licence poétique n'interdit pas de considérer ce ticket comme une truffe valide. Il suffit de prétendre l'avoir trouvé dans Le livre du Zoo, de Suzanne Pairault, par exemple, même si le livre est tardif. Ou mieux encore dans le livre de Didier Daeninckx auquel je faisais allusion plus haut et dont le titre est Cannibale.
Rappelons que le must est de trouver une lettre autographe de l'auteur. De quoi vous rendre jaloux. J'ai des noms.

Ce billet, très légèrement revu, a été publié la première fois sur le blog Feuilles d'automne en juin 2008

Renvoyons nos lecteurs au billet du blog de George WF Weaver, ou il est question de l’expo coloniale mais de bien plus encore. Nous sommes bien loin du bois mystérieux d'un André Hardellet...