lundi 25 juillet 2016

10/18 — Guy Leclerc : Le T.N.P. de Jean Vilar





Guy Leclerc

Le T.N.P. de Jean Vilar

n° 538

256 p. Couverture de Pierre Bernard, Jean Vilar sur scène, photos : Lipnitzki-Viollet
Série « S », dirigée par Bernard Lamarche-Vadel
Les six dernières pages occupées par un extrait du catalogue 10-18 (liste alphabétique par nom d'auteurs et liste numérique des ouvrages)
Volume simple
Achevé d'imprimer le 22 mars 1971 sur les presses de l'imprimerie Bussière, Saint-Amand (Cher)
N° d'édit. 404 - N° d'imp. 172 - Dépôt légal : 2e trimestre 1971

TABLE DES MATIÈRES :

Première partie : L'ILLUSION LYRIQUE

I. L'instrument scénique
II. Un théâtre d'héritier
III. La Fête et la Culture
IV. La Résistance et la Démocratie culturelle

Deuxième partie : LE MUSÉE IMAGINAIRE

I. Chefs-d'oeuvre du passé et public d'aujourd'hui
II. Public populaire et public ouvrier

Troisième partie : LA CONSCIENCE CIVIQUE

I. Les feux croisés de Suresnes
II. Sénateur contre metteur en scène
III. L'engagement politique et le théâtre de la conscience
IV. Les rôles archétypes

Quatrième partie : LA TRAGÉDIE DE NOTRE TEMPS

I. L'Homme et la Guerre
II. Le stalinisme
III. Le Pouvoir et la Tyrannie
IV. L'Argent : le Capitalisme
V. Le Pouvoir gaulliste
VI. La guerre d'Algérie ; le Fascisme
VII. La guerre atomique
VIII. L'Homme devant le Pouvoir

Cinquième partie : LA MORT DE L'IDÉALISME

I. Théâtre idéaliste et théâtre matérialiste
II. La critique de gauche : « Théâtre Populaire »
III. La critique de l'idéologie

Conclusion

Bibliographie

(Contribution de Grégory Haleux)
Index 

dimanche 24 juillet 2016

Des navions

Ces vignettes — d'un format à peine lisible et considérablement agrandies ici — ornaient un article sur le Salon de l'aéronautique dans le numéro de novembre 1922 de Lectures pour Tous.

samedi 23 juillet 2016

Si tu veux pécho des vieux, lis des livres !

Le Tenancier & Casanova

Vous connaissez le Tenancier : d’une équanimité à toute épreuve, même qu’on pourrait prendre ça pour de la catatonie si l’on ne remarquait pas la mobilité de ses yeux aux reflets intelligents. Toutefois lorsqu’on lui présente un texte d’autofiction, il ne faut pas vous le cacher, cela lui fait mal. À ce moment-là, il quitte se réserve naturelle et vitupère. Il faut bien dire que cet afflux de textes inutiles qui paraissent à la pelle — à la pelleteuse, même — a de quoi énerver lorsque l’on aime la littérature. Souvent, on apprend que ces livres sont l’aboutissement d’une séance chez l’analyste. On imagine que le spécialiste n’en pouvant plus des banalités qu’on a pu lui répandre dans la trompe d’Eustache a dû se dire que ce serait une belle revanche sur sa vie de merde en faisant partager les turpitudes de ses clients. Je confirme, cher psychanalyste, vous avez une vie de merde et je ne l’envie pas, surtout à la lueur des textes autofictifs. Ce ne doit pas être drôle tous les jours. Cela dit, les lecteurs de ces vaticinations ont un moment l’impression de jouer votre rôle, certes sans le canapé et l’argent ramassé en fin de séance. Mais on voit bien que vous ne volez pas cet argent quand on lit ce qu’on lit. Il y en a d’autres qui entreprennent d’écrire sans la sollicitation du psy. Mettons les en garde ! Quitte à écrire sur sa vie inintéressante, autant qu’elle soit écrémée d’abord par un spécialiste. À la grande époque, où c’était franchement tendance, vous pouviez même vous passer de style. Précaution superflue, d'ailleurs : beaucoup d’éditeurs se sont passés depuis longtemps de réviseurs et de correcteurs, donc cela tombait bien.
Enfin, voilà où en était — en gros — la pensée de votre Tenancier chéri. Et puis, il est tombé sur un auteur qui a justement écrit sur les conseils de son médecin. Et là, il a bien fallu se dire qu’il existe des exceptions à l’autofiction comme :
Giacomo Casanova.
 Mais quitte à avoir affaire à un escroc, autant qu’il soit brillant.

Gazette du Vieux Paris, n° 9
(Numéro « Théophraste Renaudot »)

mercredi 20 juillet 2016

Jeu promotionnel où y'a rien à gagner

http://www.souslacape.fr/livres/fiche_livre/323

On pardonnera au Tenancier d'insister lourdement sur cette publication, mais l'éditeur est un handicapé dès lors qu'il s'agit de vanter ses productions. Ils sont quelques uns comme ça. Certaines mauvaises langues pourraient prétendre que cette paralysie serait méritée étant donné la teneur du présent recueil. Ils se trompent, bien évidemment. À une époque où on ne se prive pas de toucher le fond de bien des manières, il est rassurant de découvrir que cette course vers l'abîme peut se révéler ludique pour les auteurs et amusante pour les autres.
Enfin, traditionnellement depuis deux ans, on vous présentait des jeux estivaux : charades, mots croisés, devinettes, etc. Mais voilà, vous avez dû remarquer que votre Tenancier était occupé à déménager, emménager, se soigner et d'autres choses encore, ce qui l'a empêché de solliciter votre sagacité, désespérante puisque vous êtes plutôt incollables. On ne désespère pas de recommencer, peut être avant l'été prochain. En attendant, voici un jeu promotionnel... où il n'y a rien à gagner parce que l'auteur et l'éditeur sont fauchés.
Ci-dessous, vous trouverez un large extrait du livre. Saurez-vous retrouver le pseudonyme (et donc le texte) derrière lequel se cache votre Tenancier chéri ?
On vous prévient, c'est très con. Mais rien n'arrête le Tenancier, surtout lorsqu'il s'agit de se faire plaisir...

Pour retrouver le texte,
cliquez
ici

lundi 18 juillet 2016

Le pire est toujours à craindre...

C’est pas de sa faute, c’est l’éditeur qui l’a forcé !
La seule consolation, c’est que votre Tenancier n’était pas seul dans cette histoire...

http://www.souslacape.fr/livres/fiche_livre/323


À commander chez l'éditeur au prix de 18 €

vendredi 15 juillet 2016

Le Tenancier en province

Le Tenancier a passé l’autre côté du miroir. Oh, ne vous attendez pas à un outing tonitruant. Comme il le disait par ailleurs, votre serviteur est trop vieux pour changer certains de ses vices. Ce qu’on veut vous dire par là, c’est que n’étant plus libraire, il est devenu un client comme les autres et dans une ville de province, où les gens qui ne se connaissent pas se disent bonjour lorsqu’ils se croisent dans la rue. « Et alors, Tenancier, quel effet cela fait-il de redevenir un vulgaire pékin ? »
Rien.
Je suis le premier déçu, croyez-le. Quittant ma défroque de libraire je m’attendais un an après à subir les affres du choix, l’avidité de la moindre nouveauté. Or me voici dans les mêmes ornières avec quelque fois, le lever d’une paupière découvrant un œil torve sur un livre qui n’est ni d’occasion ni une nouveauté. Risquer quelques sesterces sur un livre neuf, voici l’audace dont je me rétribue désormais. Ravissement rare et accompagné de scepticisme. On croit l’opération aisée. Votre serviteur aurait-il eu la témérité de s’installer dans un coin où il n’y aurait nulle librairie ? On vous rassure, il y en a. Enfin, la librairie du coin est une librairie-papeterie et nous avons frôlé de peu qu’elle fût également revendeuse de presse. Nous aurions eu à la fois, les torchons, les serviettes et la wassingue… sans préjugé de cette attribution métaphorique. Cette librairie de neuf n’a rien. On s’y attendait. Outre le fait que comme quatre-vingt dix pour cent de ses confrères ses rayons sont garnis d’offices de librairie sur le quel il ne doit pas avoir un grand pouvoir de choix, ses rayonnages sont garnis d’ouvrages courants. C’est bien normal aussi. Il est surprenant déjà qu’une telle boutique survive dans une agglomération atteignant avec peine dix mille habitants et possédant des supermarchés dotés d’un rayon « culture » que l’anglomanie régnante n’a pas encore changé en « entertainment », métamorphose pourtant méritée. Heureusement, on peut commander. C’est la mission et le devoir du libraire : répondre à toute demande pourvu que le livre soit accessible. On verra bien la suite de la commande passée dernièrement (un livre sur Circé, vous saurez peut être un jour pourquoi…) Donc, c’est possible, votre Tenancier chéri peut commander un livre chez un libraire au lieu d’engraisser des évadés fiscaux.
Non loin se tient un bouquiniste. Nul ne saura égaler la défunte librairie Entropie et l’amitié de Vincent. Le bouquiniste en question est poète, joueur d’échec et nous nous sommes laissé dire que ses talents ne s’arrêtent point là. On verra. Nous sommes en train de l’amadouer mais nous veillerons à rester à notre chaste place de client. Si l’on change de vie, on change de mœurs ou du moins on s’y essaye.
Voilà, le Tenancier est installé au loin, sans fuir les pertes, les morts de proches et d’amis mais avec le sentiment de la persistance ténue mais réelle (les statistiques du blog en témoignent) d’amitiés quelque part.
C’est réconfortant.
Ici le Tenancier suspend son pas et se tourne vers son alter ego :
« — Alors ? Qu’est-ce qu’on fait ?
— On continue la mission…

vendredi 1 juillet 2016

Toujours rien...

Oui, toujours rien.
Mais que l'on ne se fasse pas de bile, c'est simplement que le Tenancier est un peu pris.

vendredi 3 juin 2016

Jean-François

Un ami vient de disparaître. Il avait bien voulu nous donner quelques textes pour le blog. Je célèbrerai le souvenir d'une homme sensible et intelligent, féru d'art que j'admirais et que j'aimais.
Merci, Jean-François, d'avoir été là.


Pacquelin, Pacqulinage, Pacqulineur, neuse

Pacquelin, Paclin, Pasquelin : Pays. (Vidocq, Halbert.)

Pacquelinage : Voyage. (Idem.)

Pacquelineur, neuse : Voyageur, voyageuse. (Idem.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881



Pacquelin s. m. Pays natal. Mot emprunté à l'argot des voleurs. « Un suage est à maquiller la sorgue dans la tolle du ratichon du pacquelin... — Un coup est à faire, la nuit dans la maison du curé du pays ...» (Lettre d'un assassin à ses complices.) C'est donc à tort que quelques-uns disent Patelin.

Eugène Boutmy — Dictionnaire de l'argot des typographes, 1883

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jeudi 2 juin 2016

Une historiette de Béatrice

— « Je suis passé la semaine dernière, c’était fermé, pour une fois que je viens à Bayonne…
— Vous n’avez pas vu le mot sur la porte ? J’étais en congés.
— Oui mais bon, c’est comme vos horaires, on ne sait jamais…
— Regardez monsieur, ils sont affichés sur la porte.
— Oui mais bon….
— La prochaine fois, passez donc un coup de fil avant de venir, pour vous assurer de ma présence.
— Oui mais bon…. »

Cette historiette a été publiée pour la première fois en octobre 2012 sur le blog  Feuilles d'automne.

Occasion

Occasion : Chandelier. (Halbert.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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dimanche 29 mai 2016

Petite absence

Le Tenancier tient à présenter ses excuses à l'assistance publique. Un peu souffrant ces derniers temps, il était dans l'incapacité de s'occuper du blog. Tout va rentrer dans l'ordre sous peu.

(Le Tenancier et son voisin de chambre après le naufrage de l'hôpital flottant)

vendredi 13 mai 2016

Gazette du Vieux Paris, n° 7
(Numéro « Rabelais »)

Naturalibus (in)

Naturalibus (in) : Dans l'état de nature, nu. — Latinisme. — « Mon Joseph eut avec elle un tête-à-tête in naturalibus. » (Beaufort, Elle et Moi, Troyes, an VIII.) — « L'autre regardant à l'horizon in naturalibus. » (Commerson.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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mercredi 11 mai 2016

Sur les routes — IV

A la fin août 1932, je décide d’entreprendre en Allemagne un  grand voyage à pied, sac au dos, selon les rites germaniques. Avec le camarade qui m’accompagnera, nous nous y préparons avec ardeur. Au pied du fort de Romainville, notre voisin, le canal de l’Ourcq étale sa ligne droite. Pour mieux nous entraîner, nous revêtons notre tenue complète de marcheurs à pied, blouson, culotte courte de velours, lourds brodequins et grosses chaussettes de laine : nous chargeons notre rucksack du poids respectable qu’il pèsera effectivement au cours de notre périple. Et, carte en main, nous repérons exactement, sur les berges du canal, une distance de 12 km 500. D’une allure souple et régulière, redressant la tête, creusant les reins, bombant le torse, nous franchissons chaque jour cette distance. Parvenus au point d’arrivée, nous esquissons un demi-tour quasi militaire et repartons en sens inverse, le même kilométrage, indifférents au soleil ou aux intempéries, prêts à tout affronter.
 
Et c’est enfin le départ, le soir du 9 août 1932. Une camionnette qui fait chaque nuit le trajet Paris-Strasbourg a bien voulu nous charger dans son « poids lourd ». L’énorme véhicule saute avec un bruit de ferraille sur le pavé de Pantin. Dans la remorque, entre deux rouleaux de linoléum, à l’imposant diamètre, nous avons, mon compagnon et moi, logé nos corps meurtris, nos sacs bourrés et difformes que surmonte une gamelle. Au volant, dans la cabine où nous les rejoignons de temps à autre pour faire la causette, de grands gars d’Alsace, placides et blonds. Il suffit de soulever la bâche de notre remorque pour prendre connaissance avec le paysage. Mais, le plus souvent, rois fainéants vautrés sur des colis rugueux, nous laissons dérouler le fil des heures. Et quant la nuit venue, les conducteurs, harassés, font halte au bord de la route, nous courons dans un champ voisin d’où nous rapportons, pour arrondir les angles et amortir les chocs, de moelleuses gerbes de blé fraîchement coupé.
 
Au seuil de la Forêt-Noire, je déborde d’un optimisme que les vicissitudes des luttes sociales n’ont pas encore ébranlé et que mon compagnon, petit bourgeois sceptique et insouciant, ne partage guère. Après une si longue période d’inaction stérile, dans un vieux pays dégénéré, je vais peut-être enfin me trouver au cœur de l’action, dans cette Allemagne jeune, moderne et dynamique que, depuis ma jeunesse, je n’ai cessé d’admirer. C’est ici que s’est formée la classe ouvrière la mieux organisées, la plus cultivée du monde. Ici que les contradictions économiques et sociales ont atteint un point de tension extrême. Ici que va sonner l’heure de l’explication décisive entre le bloc formidable du salariat et les mercenaires du grand capital.
 
Et pourtant les germes d’une maladie mortelle minent déjà cette chair en apparence resplendissante. L’atmosphère est lourde, les oiseaux volent bas, comme avant l’orage. Plus je m’enfoncerai au cœur du pays, plus je déchanterai. En vérité, malgré ça et là quelques apparences trompeuses, tout annonce, tout fomente — sans que j’en aie encore une pleine conscience — la victoire du fascisme hitlérien.
 

 
Par une belle fin d’après-midi s’achève notre première étape outre-Rhin. Déjà vingt-cinq kilomètres dans les jambes et, sur les épaules, malgré que nous nous soyons entraînés pour cette distance, les courroies pèsent un peu. Nous traversons un village qui paraît coquet en comparaison des nôtres, avec ses maisonnettes blanches fraîchement repeintes, ses fenêtres garnies de géraniums. Tel le cheval qui sent l’écurie, nous marchons d’un pas plus allègre lorsqu’à la sortie de la petite agglomération, à l’écart et entouré d’arbres, apparaît le gîte que nous cherchions : l’auberge de la jeunesse. Chaque soir, de la même manière, nous nous retrouverons comme chez nous.
 
La salle commune est déjà pleine : jeunes de quinze à vingt ans, cheveux blonds, voix mâles, visages volontaires. Une chemise de sport kaki ou verte, aux manches retroussées, découvre leurs avant-bras bronzés par le soleil. des genoux sculpturaux émergent d’une culotte courte en velours ou en peau que complète souvent une paire de bretelles tyroliennes avec sa large plaque de cuir rectangulaire, formant comme un pont entre les pectoraux. Les jambes sont halées, muscles tendus et durs. De grosses socquettes retombent sur de forts souliers de marbre. certains ont conservé sur la tête, posée crânement, une petite calotte de type ecclésiastique, en feutre gris, découpée dans le fond d’un vieux chapeau.
Nous ne tardons pas à lier connaissance. Notre qualité de français nous vaut un accueil fraternel.
Franzose ? Pas possible ! On voit des Franzosen si rarement.
Puis c’est une volée de questions :
— Chez vous aussi il y a beaucoup de chômage ?
— Est-il vrai, ce qu’on dit, que les Français sont si riches, qu’ils ont tant d’or ?
— Vous avez le service militaire obligatoire ?
— Comment donc nous appelez-vous ? Des…. des… Boches ?
Nous répondons tant bien que mal. Autour de nous, le cercle s’est formé, un cercle au centre duquel je me sens bien. Je lis dans les regards un besoin de communication directe, par-delà les frontières artificielles, les journaux et les discours mensongers, un étonnement de se sentir pareils.
 
Sur une table, un « livre d’or. Chacun est invité à y inscrire son nom, à laisser une trace — pensée, poésie ou dessin — de son passage. Sur le feuillet de garde, ce vain avertissement : « On est prie d’oublier la politique au seuil de ce livre ». Pourtant, quant je le feuillet, je vois la politique sourdre à chaque page. Elle tourmente ces jeunes au point qu’ils ne peuvent, malgré l’ambiance neutre de l’auberge, s’en abstraire. Un main a écrit : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. » Mais un autre a biffé l’appel d’un trait de plume rageur. Ailleurs ce sont les trois flèches socialistes qui transpercent la croix gammée. On nous explique que cette passion est plutôt récente.
Quand je décris, en comparaison, la jeunesse française indifférente, ignorante, engourdie par l’opium des journaux sportifs, on me répond qu’il n’y a pas si longtemps la jeunesse allemande s’intéressait plus aux champions et aux stars qu’à Hitler ou à « Teddy » Thalmann. Mais le chômage, la misère, l’entrée en scène tapageuse du national-socialisme ont tout changé. Au fond des regards de mes jeunes compagnons d’un soir, je lis, parce qu’ils ont dix-huit ans, la joie de vivre, mais aussi l’angoisse et la faim. Ces auberges, luxueusement aménagées, dans lesquelles de beaux fourneaux sans emploi contrastent avec les ceintures qui se serrent, suggèrent un monde périssable. La contagion du fanatisme politique a gagné jusqu’aux impubères. Un gamin de treize ans me crie son amour pour le Führer, une fillette m’explique gravement le dernier discours du chancelier von Papen. Peu ou prou de non-engagés. Chacun a pris parti. La salle commune s’est vidée peu à peu. Pourtant aux extrémités opposées, deux groupes demeurent. Dans la pénombre, de petits écoliers tiennent un recueil de chansons à la main. Sous la conduite de leur magister, ils entonnent des airs martiaux où il est question de héros victorieux et d’ennemis en déroute. Trois solides gaillards de Westphalie, prolétaires sans nul doute, les écoutent avec satisfaction puis, avec eux, reprennent en chœur le refrain. A l’autre bout de la salle, d’autres « ajistes », indisposés par cette démonstration, observent, muet, renfrognés. L’un d’eux serre dans ses doigts crispés la Rote Fahne, le quotidien communiste. Et comme j’essaie, en vain, de le faire parler, il me montre, d’un signe de tête, le camp adverse et hausse les épaules. Jusqu’à l’heure réglementaire de l’extinction des feux, nazis et révolutionnaires resteront en face à face, dans un état de veillée d’armes.
 
Un jeune, plus loquace, ou plus lucide, murmure à mon oreille, tandis que nous gagnons nos dortoirs :
— Vois-tu, nous sommes dressés les uns contre les autres. Les passions sont chauffées à blanc au point qu’il nous arrive de nous entre-tuer, mais nous voulons au fond la même chose
— Vraiment ?
— Oui, la même chose, un monde nouveau, radicalement différent de celui d’aujourd’hui, un monde qui ne détruise plus le café et le blé, tandis que des millions d’hommes ont faim, un nouveau système. Mais l’un croit dur comme fer qu’Hitler le lui donnera et l’autre que ce sera Staline. Il n’y a entre nous que cette différence…
Et c’est pourquoi dans la chambrée, avant que les lumières ne s’éteignent, retentira de cinquante coffres sonores, un vieux chant de vagabonds de la route, que le nazi entonne avec autant de conviction que le socialiste ou le communiste :
 
Quand nous cheminons côte à côte
Et chantons les airs anciens
Dont les bois nous renvoient l’écho
Alors, nous le sentons, il faut que cela arrive :
 
Avec nous viennent les temps nouveaux !
Avec nous viennent les temps nouveaux !
Unanimité à peine fêlée par la discordance des trois cris antagonistes, proférés ensemble, tel un bonsoir ou un final défi :
— Heil Hitler !
— Freiheit !
— Rot Front !
Pourtant les dilettantes, les poètes, les rescapés romantiques et littéraires de la Jugendbewegung (« mouvement de jeunesse ») d’avant 1914 n’ont — pas encore — totalement disparu. Témoin ce groupe d’étudiants, que nous rencontrons le lendemain sur la route, vêtus d’un simple short, à peu près nus sous un soleil de plomb. Une invraisemblable vaisselle s’accumule sur leurs échines bronzées. On dirait une caravane de chameaux porteurs de denrées. Ces joyeux lurons s’entêtent à préférer le naturisme aux controverses politiques. Et ils susurrent, en s’accompagnant d’une guitare, ces vers, si pacifiques, d’un poète tombé au front1 :
 
Et mon cœur, mon cœur chante
Un air qui lui aussi monte vers le ciel,
Un air très léger et très doux,
Un air aussi délicat, aussi tendre
Qu’un petit nuage fuyant à travers l’azur
Comme un flocon de duvet dans la brise…


1. Hermann Löhne.

Daniel Guérin : La peste brune — 1954.

Macaire

Macaire : Malfaiteur affectant les dehors d'un homme du monde. Le mot date du drame de l'Auberge des Adrets ; il doit moins sa fortune à Frederick Lemaître, créateur du rôle de Macaire, qu'aux nombreuses caricatures qui ont ensuite fait de l'assassin Macaire le type du filou cynique. — « Ils se croyaient des Macaires et n'ont été que des filous. » (Luchet.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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lundi 9 mai 2016

Gazette du Vieux Paris, n° 6
(Numéro « Jeanne d'Arc »)

Là-bas

Là-bas : Maison de correction de Saint-Lazare. — « Julia à Amandine : comme ça c'est pauvre Angèle est là-bas ? — Ne m'en parle pas. Elle était au café Coquet à prendre un grog avec Anatole. Voilà un monsieur qui passe, qui avait l'air d'un homme sérieux avec des cheveux blancs et une montre. Il lui offre une voiture, elle accepte, un cocher arrive, et... emballée ! Le monsieur était un inspecteur ! » (Les Cocottes, 64.)

Là-bas : Au bagne. — « Ils croyaient m'avoir vu là-bas. Là-bas, cela veut dire au bagne. » (Lacenaire, 36.)

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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samedi 7 mai 2016

Sur les routes — III

Comme nous nous éloignions toujours davantage de la capitale, le trajet de mes envoyés devenait chaque fois plus long. Après cinquante jours de route, l’intervalle entre l’arrivée d’un messager et celle du suivant était devenu sensiblement plus grand : alors qu’au début tous les cinq jours l’un d’eux rejoignait le camp, il fallait désormais attendre vingt cinq jours ; le bruit de ma ville s’affaiblissait de cette sorte toujours davantage ; des semaines entières passaient sans qu’aucune nouvelle me parvînt.
Quand j’en fus au sixième mois de mon voyage — nous avions déjà franchi les monts Fassani — l’intervalle entre l’arrivée de chacun de mes messagers s’accrut à quatre bons mois. Désormais, ils ne m’apportaient que des nouvelles lointaines, ils me tendaient des lettres toutes chiffonnées, roussies par les nuits humides que le messager devait passer à même les prairies.
Nous marchions toujours. Je tentais en vain de me persuader que les nuages qui roulaient au-dessus de ma tête étaient encore ceux-là mêmes de mon enfance, que le ciel de la ville lointaine ne différait en rien de la coupole bleue qui me surplombait, que l’air était semblable et semblable le souffle du vent, et semblable le chant des oiseaux. Les nuages, le ciel, l’air, les vents, les oiseaux m’apparaissaient en réalité comme des choses nouvelles ; et je me sentais étranger.
En avant, en avant ! Des vagabonds rencontrés sur les plaines me disaient que les frontières n’étaient plus loin. J’incitait mes hommes à continuer la route sans répit, faisant mourir sur leurs lèvres les mots désabusés qu’ils s’apprêtaient à dire. Quatre ans avaient passé ; quelle longue fatigue ! La capitale, ma demeure, mon père, étaient curieusement éloignés, je n’y croyais même presque plus. Vingt bons mois de silence et de solitude séparaient désormais les retours successifs des messagers. Ils m’apportaient de curieuses missives jaunies par le temps, dans lesquelles je découvrais des noms oubliés, des tournures de phrases insolites, des sentiments que je ne parvenais pas à comprendre. Et le lendemain matin, après une seule nuit de repos, tandis que nous reprenions notre route, le messager partait dans la direction opposée, portant vers la ville une lettre préparée par moi depuis longtemps.
Mais huit ans et demi ont passé. Ce soir je soupais seul sous ma tente quand est entré Dominique, qui parvenait encore à me sourire malgré cette fatigue qui le terrassait. Je ne l’avais pas revu depuis près de sept ans. Et pendant ces sept ans-là, il n’avait que courir, à travers les prairies, les forêts et les déserts, changeant Dieu sait combien de fois sa monture, pour m’apporter ce paquet d’enveloppes que je n’ai pas encore eu à cette heure l’envie d’ouvrir. Déjà il s’en est allé dormir, il repartira demain matin à l’aube.
Il repartira pour la dernière fois. J’ai calculé sur mon carnet que, si tout va bien, si je continue ma route comme je l’ai fait jusqu’ici et lui la sienne, je ne pourrai revoir Dominique que dans trente-quatre ans. J’en aurais alors soixante-douze. Mais je commence à ressentir ma lassitude et la mort probablement m’aura cueilli avant. Ainsi donc je ne pourrai jamais plus le revoir.
 
Dino Buzzati : Les sept messagers — 1966
Traduit de l’italien par Michel Breitman 
 
 

Jacter

Jacter : Parler, crier. Mot à mot jeter (jactare) les hauts cris. V. Greffier, Loubion.

Lorédan Larchey : Dictionnaire historique d'argot, 9e édition, 1881

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Gazette du Vieux Paris, n° 5
(Numéro « XIVe siècle»)