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vendredi 1 septembre 2023

Paf, dans ma bibliothèque !

Il existe des périodes fastes en matière de trouvailles, même si cela concerne des choses très connues déjà, pour plusieurs raisons.
Commençons par une bienveillance lointaine, celle de Béa, de la Bouquinerie Kontrapas qui m’a expédié le Bukowski manquant dans mes rayonnages (excepté la poésie, simple impéritie de ma part). Que dire sur cet auteur qui n’a été déclaré sinon verser dans les clichés et les a priori pour pas mal de personnes. Cette chronique publiée dans le journal Open Press remet en perspective — comme chacun de ses livres — la vision que nous devrions en garder : un sacré prosateur, bien servi, je trouve par Gérard Guégan, auteur d’une postface pour le présent ouvrage. Je retourne à Bukowski de temps à autre. La fréquentation me remet à ma place lorsque j’évoque le travail d’écriture : pas très haut en définitive, à mesurer la distance qui me sépare d’un véritable écrivain. Voilà un exercice salutaire…

 

Comme j'avais reçu le Bukowski la veille, le lendemain je me suis résolu à aller commander le Connel, Le jeu le plus dangereux, dont je vous rebats les oreilles depuis un certain temps : il s’agit de Zaroff, encore ! Attendons de satisfaire cette lubie, sous peu. Bien sûr, j’ai fait un crochet à la boîte à livres. J’y ai découvert un bordel immonde. On aimerait que l’endroit soit respecté. Mais je t’en fiche : les bouquins sont empilés n’importe comment, gauchis, maltraités. De quoi désespérer ? Même pas, puisque l’on sait de longue date que les gens sont des cons et des gougnafiers. Quand c’est gratuit, pourquoi se gêner, hein ? Allez, on a trouvé un Peter Ackroyd, mais en langue anglaise, ce qui m’arrange moyen parce que je la maîtrise assez peu. Toutefois, l’envie me donnera peut-être des facilités à l’égard d’un auteur au corpus assez intrigant, en tout cas pour moi. Au moins j’aurais essayé, encore une fois. L’autre volume trouvé dans un état très propre (petite odeur de renfermé, quand même) est un Sheckley que je possédais jadis dans ma bibliothèque (mon rayon SF occupait une place importante). Plus de vingt ans plus tard, après m’être débarrassé de presque tous ces volumes, voici qu’un peu de nostalgie me cueille au débotté. Tant pis pour moi, ou tant mieux : relire du Sheckley ne se révèle pas la pire punition que l’on puisse s’infliger (j’ai des noms, mais je ne suis pas une balance).

 
Dans l’aimable sous-préfecture où je réside, quelques auteurs trouvent un refuge paisible et il nous arrive désormais de nous réunir tous les mois autour d’un repas. Nous le prenions à L’Improbable, restaurant qui faisait aussi brocante, c’est-à-dire que vous pouviez repartir avec la table, les chaises, les couverts, mais également des bibelots parfois… improbables et le tout à des prix démocratiques — même de démocratie populaire, me risquerais-je à affirmer. « À cause d’eux », je me retrouve à la tête d’une collection de près de 300 buvards publicitaires ! C’est malin... Ils ferment, victimes de la pandémie avec un peu de retard, mais également de l’augmentation de tout… et sans doute par un peu de lassitude. Ils ferment, donc, alors depuis quelques semaines ils ne font plus à manger, mais il déballe leur fonds. Puisqu’il n’y avait que quelques pas depuis la boîte à livre nous y sommes rentrés pour dire bonjour à Katia et à Tony, adorables de coolitude. Je suis tombé en arrêt sur une étagère ou traînaient encore des appâts à nostalgie, entre deux jouets en fer blanc :
— un Kurt Steiner plus beau que celui que je possède
— des numéros de la revue Fiction où, tiens, je retrouve Sheckley, mais également le très rare François Valorbe, Walter Tevis, ce curieux John Anthony West (Un mari à l’engrais) qui allait devenir un « égyptologue » hétéroclite et puis des personnes que j’ai eu le bonheur de publier : Philippe Curval, Jean-Claude Forest et Gérard Klein. Nous les retrouvons d’ailleurs dans :
— ce numéro spécial de Fiction (n° 4 : Anthologie de la SF française), rejoints par un certain André Ruellan qui signa nombre de romans sous le nom de… Kurt Steiner. Les livres d’André, ou ceux où figurent ses nouvelles font partie des rares bouquins du genre conservés avec soins dans un recoin de la maison, en souvenir de trop fugaces rencontres, passionnantes.
 

Évidemment, devais-je laisser tous ces beaux exemplaires à la concupiscence d’une tierce personne, sachant la profession de foi que je clamais quelques lignes plus haut, vis-à-vis de ces connards de gens, même s’ils évitent cet antre-là ? Pourtant, j’avais, lors de ma crise des 40 ans, largué les amarres du monde de la SF dans lequel d’ailleurs je m’étais peu intégré pendant la presque vingtaine d’années où j’y avais eu des activités. La sagesse venant, la vieillesse aussi peut-être, l’on se permet le loisir d’un retour sans risque sur des sentiers balisés. Ce n’est certes pas avec ces pioches-là que je me trouverai à la pointe de l’actualité du genre. Mais vous savez quoi ? Je m’en fous.

Il n’empêche, où va-t-on se retrouver pour discuter le bout de gras, maintenant, que l’Improbable est fermé ?
 
Charles Bukowski : Journal d’un vieux dégueulasse (1969), traduction et postface de Gérard Guégan — Grasset, 1996
Robert Sheckley : Et quand je vous fais ça, vous sentez quelque chose ? Le livre de Poche, 1977
Peter Ackroyd : The House of Doctor Dee — Penguin, 1994
Kurt Steiner : Menace d’Outre-Terre — Fleuve Noir Anticipation, 1958
Fiction n° 30, mai 1956
Fiction n° 113, avril 1963
Fiction n° 144, mai 1963
Fiction n° 124, mars 1964
Fiction Spécial n° 4 (112 bis) : Anthologie de la science-fiction française, 1963

vendredi 16 mars 2018

« Connaissez-vous la vertu des livres, monsieur ? »



« Puis-je vous raconter une histoire, Miss Lamb ? Il y a un mois, j’étais installé dans un café de Maiden Lane. Voyez-vous celui que je veux dire ? Celui qui a un superbe comptoir en acajou. J’avais emporté une très belle édition ancienne en écriture gothique des Contes de Canterbury de Chaucer, que je venais d’acheter à un client de Long Acre. J’en tournais les pages lorsque j’entendis une voix qui manifestement s’adressait à moi. “Connaissez-vous la vertu des livres, monsieur ?”
« C’était une femme d’âge mûr, assise à un guéridon juste derrière moi. Elle était vêtue en noir de la tête aux pieds, elle portait un chapeau noir, un châle noir, et un parapluie noir était posé contre sa table. Il n’est pas habituel de voir une femme assise seule dans un café, même à Maiden Lane, et, bien sûr, je fus un peu gêné. Ce n’était manifestement pas une prostituée. Pardonnez-moi, Miss Lamb, d’être aussi indélicat. Son âge et sa tenue excluaient cette hypothèse. Je supposai qu’elle était soit soûle, soit folle. “Des vertus, madame ? — Comprenez-vous ces choses…? Les archives, les documents, les livres…? — C’est ma profession. — Je ne fais pas confiance aux hommes de loi. ” Je remarquai alors qu’elle buvait une tasse de sassafras, une boisson que je déteste ardemment. “Ainsi que vous pouvez le voir, je suis veuve. — Vous m’en voyez navré. — Il n’y a pas de quoi. Mon époux était une brute. Mais il m’a laissé quantité de documents.” Bien sûr, cette remarque éveilla mon intérêt. “Je n’y connais rien dans ce domaine. J’ai besoin de quelqu’un de compétent.” J’avais cru un instant que cette femme appartenait à la cohorte des faibles d’esprit qu’on croise en grand nombre dans les rues de Londres. Cependant, elle faisait preuve d’une telle circonspection, d’une telle assurance, que je compris qu’il n’en était rien. “Vous trouvez sans doute étrange, monsieur, que je vous entretienne de tout cela, mais, comme je l’ai déjà dit, j’abhorre les avoués, les chicaneurs et autres avocassiers. Il y a plusieurs semaines que je n’arrête pas de me répéter : si je tombe sur quelqu’un qui s’y connaît en études et en déchiffrage, je lui fonce dessus.” Je ne pus m’empêcher de sourire. “Vous voyez bien, monsieur, que le langage fleuri, ce n’est pas mon genre. Auriez-vous l’obligeance de me révéler votre nom ?” Elle ouvrit sa bourse en soie noire et je sentis, très nettement, une odeur de violettes. C’est un parfum exquis, ne trouvez-vous pas ? “Je n’ai pas de carte, déclara-t-elle. Que celle de mon défunt mari… mais l’adresse est la même.” Je remarquai que son époux, Valentine Strafford, avait été importateur de thés et qu’il vivait à une bonne adresse… Great Tichfield Street… dans la paroisse de Marylebone. Je donnai donc mon nom à cette personne et lui promis de venir lui rendre visite. Ainsi l’exigeait la plus élémentaire politesse.
« Tout à fait par hasard, le surlendemain, je passai devant sa demeure en me rendant chez un relieur de Clipstone Street. Connaissez-vous ce quartier-là, Miss Lamb ? Quoique pas très ancien, il n’en est pas moins plein d’intérêt. Je n’avais pas alors, à vrai dire, l’intention de lui rendre visite, mais je dois avouer qu’elle m’avait passablement intrigué. Je jetai un coup d’œil par la fenêtre du rez-de-chaussée et là, sur une longue table, qu’avisai-je sinon des montagnes de manuscrits et de parchemins ! Il y avait également des liasses de documents, des boîtes et des papiers roulé ensemble et retenus avec de la ficelle ou du ruban. L’inconnue n’avait donc dit que la stricte vérité en parlant de documents que son mari lui avait laissés. Je n’hésitai pas un instant et, sur l’impulsion du moment, gravis les marches et tirai sur la sonnette ; à ma grande surprise, c’est elle-même qui ouvrit la porte. “J’espérais bien que vous viendriez, Mr Ireland, je vous attendais.”
« Elle m’emmena dans la pièce du rez-de-chaussée où j’avais vu les documents. En chemin, j’aperçus un long jardin étroit à l’arrière, ou l’on avait érigé une de ces folies en forme de rocaille. Elles sont très à la mode de nos jours. “Je ne suis pas certain, Mrs Strafford, d’être en mesure de vous aider. — Ne soyez pas bête. J’ai remarqué comment vous avez écarquillé les yeux en entrant dans cette pièce. Vous raffolez des vieux papiers, je le vois bien.” Elle me proposa du sassafras mais je déclinai. De toute évidence, elle n’aimait pas le thé qui avait fait la fortune de son mari. “Naturellement, je vous rémunérerai. — Avant d’évoquer une quelconque rémunération, laissez-moi jeter un coup d’œil à ces papiers. — Ça ne représente peut-être rien du tout. — Ou au contraire, beaucoup. Laissez-moi donc d’abord examiner tout ça.” »

Peter Ackroyd : William et Cie (2004)
Editions Philippe Rey, traduit de l'anglais par Bernard Turle